Le projet de création "Stealing time B" pour Marimba et électronique fait partie d'un cycle de quatre pièces d’effectif variable appelé "Stealing time". Il s’agit d'un cycle qui, comme son nom l'indique, s’articule sur un discours autour de la contraction des temps musicaux et de sa perception. « Voler » le temps comme une métaphore d'un temps musical en constant processus de transformation avec l'idée de créer une forme fluide qui semble avancer dans le temps de façon irrémédiable mais qui, paradoxalement, peut finir par s'enfermer. Il s’agit de la recherche d'une linéarité non dirigée.

Chacune des quatre pièces du cycle aborde la question susmentionnée sous des angles différents, en tenant compte des caractéristiques des instruments pour lesquels elle est écrite. Dans le cas particulier de "Stealing time B", le point de départ est le domaine de l'organologie historique du Marimba. Et plus précisément, il vise à enquêter sur le Marimba de chonta, un instrument paradigmatique de la musique traditionnelle du Pacifique colombien.

Cet instrument est le fils du Xylóphon africain ou Gyil et du Marimba méso-américain plus tardif, résultat de la traite des esclaves entre les deux continents au s. XVI-XVII. Mon intérêt pour le marimba de chonta va au-delà des caractéristiques organologiques propres à l'instrument (aspects que nous aborderons plus tard). Le marimba de chonta est l'un des instruments les plus utilisés par les communautés de la région lors des festivités traditionnelles. Son accordage est intimement lié au chant traditionnel des femmes et sa construction est étroitement liée à la communauté car il représente la mémoire ancestrale et la sauvegarde du patrimoine afro-colombien. Aujourd'hui, on s'inquiète de plus en plus de la généralisation de l'enseignement du marimba de chonta chromatique avec un accordage occidental au détriment du marimba traditionnel avec un accordage non tempéré, qui perd du terrain. Construire un marimba de chonta traditionnel prend du temps, de la patience et de la passion pour une région qui exige plus d'attention sociale, politique et économique qui leur a échappé pendant des décennies. La situation actuelle du chonta marimba est l'expression la plus claire de cette perte.

J'ai voulu dons réfléchir d'une part sur la dualité entre les deux marimbas et mettre en lumière ce "conflit" qui s'instaure entre les deux d'un point de vue strictement musical. En même temps, ce « conflit » qui transcende l'instrument lui-même, reflète un phénomène encore plus profond : celui de la perte de la mémoire d'un tissu culturel, celui du Pacifique colombien, qui perd peu à peu son identité au détriment d'une culture de plus en plus homogénéisée comme en Occident. Sans entrer dans des enjeux éthiques, ce qui m'intéresse avec ce projet, c'est de rendre compte de ce "conflit" à travers la manipulation du temps musical qui agit comme métaphore d'un temps socio-culturel, celui de la mémoire et de ses racines, qui peu à peu glisse par nos mains.